Guy Corneau : entretien masculin-féminin

Entretien avec Guy Corneau : Le couple vers la sacralisation de la matière

Propos recueillis par Catherine Balance

(Revue Recto-Verseau – février 1998)

CB : On parle de sexe opposé, de sexe fort, de sexe faible… mais au fond l’homme et la femme sont-ils si différents ?

GC : Non, je ne pense pas que les hommes et les femmes soient si différents. Je pense qu’ils fonctionnent sur des modes différents pour jouer la même chose, pour jouer la même identité. Je crois que notre identité de base, notre essence ultime est la même et qu’elle est faite d’initiation, d’amour, d’énergie en mouvement, d’énergie en friction avec d’autres énergies. Et le fait que nous soyons des hommes et des femmes permet de vivre cette aventure-là jusque dans la chair. Je pense que nos âmes, qui ont une nature plus spirituelle, plus désincarnée, se permettent le festin, le ” festival ” de pouvoir vivre jusque dans la chair l’aventure de l’accomplissement. La vie est elle-même mise en marche par une friction créatrice, une friction qui devient des hommes et des femmes, qui devient une façon extraordinaire de s’opposer, de se compléter, de s’harmoniser, de se désharmoniser, de se combattre, de se battre, de se tuer, de s’entre-tuer et de s’aimer profondément. Il y a le couple homme-femme, mais le premier couple est sans doute le couple individualité-universalité. Il y a plusieurs duos : l’âme individuelle avec l’universel et l’âme individuelle et l’esprit avec le corps. Je crois que l’enjeu ici pour chaque individu est de se réveiller à travers un corps et non pas d’en sortir. Jusqu’à présent, la religion nous a montré la voie du refus de l’incarnation. Tout est basé sur le fait que le Christ s’est fait chair, Dieu s’est fait chair et pourtant la chair est devenue l’obstacle numéro un à la réalisation de l’amour universel. La plupart des religions n’ont pas pu proposer des idées ou des inspirations qui permettent, à travers le désir, à travers la rencontre avec l’autre sexe, d’aller vers l’universalité, vers l’amour universel pour une union profonde des êtres. La voie de la connaissance est surtout passée par les parties supérieures du corps, par les chakras plus élevés, par une inspiration très profonde dans l’être qui lui donne bien sûr une connaissance de l’univers mais cette connaissance n’est toujours pas reliée au coeur ni à la sexualité. Pour éveiller complètement le coeur, je pense que le passage par la sexualité, par le désir, est un passage obligé. Autrement dit, je crois que même si on comprend le ” programme ” est d’arriver à marier son individualité à l’universalité, d’épouser et d’embrasser complètement l’universalité, même si on se rend compte que notre essence profonde c’est cela, c’est l’amour, l’énergie, le mouvement, le passage à travers l’incarnation reste encore à réaliser pour la plupart d’entre nous. Et il nous faut comprendre que même si l’on est incarné dans un corps de chair, il n’y a pas de séparation obligatoire entre soi et le monde, entre le corps et l’esprit, entre l’esprit et la matière.

C’est ce travail de divinisation de la matière ou plutôt de sacralisation de la matière qui est en oeuvre à travers le couple. C’est cela qui est en jeu. Bien sûr, nos amours nous servent à toute autre chose qu’à cela jusqu’à ce que la conscience soit suffisamment éveillée et que l’on réalise que la friction avec l’autre, avec le sexe opposé – avec ce qui semble opposé – va d’abord révéler à un être son propre inconscient, ce qu’il est profondément mais qu’il ne peut pas reconnaître encore. A travers ses rapports avec l’autre, il pourra ainsi reconnaître le bourreau ou la victime en lui, reconnaître celui qui est capable de lâcheté ou celui qui est capable de générosité et d’amour, peu importe qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme. C’est ce qu’on retrouve en premier à travers l’autre. On voit d’abord les différences et on y reconnaît ensuite son propre monde intérieur. C’est un long parcours – qui peut prendre de nombreuses années – de se rendre compte que ce n’est que soi-même qui a été profondément révélé. Et que chaque être est semblable à tout l’univers qui l’entoure. L’union avec l’autre devient alors davantage une harmonisation avec l’autre. Au lieu de voir ses différences, je vois des ressemblances. Sur le chemin des ressemblances se crée une harmonie d’âmes que nous avons reconnues. Nous avons reconnu que nous étions de la même essence et nous nous retrouvons sur le même parcours, un parcours d’éveil, un parcours vers la reconnaissance de notre universalité profonde, de notre essence profonde, de notre essence amoureuse. L’amour romantique nous sert de chemin vers cet amour du coeur, vers cette joie profonde d’exister et nous permet de poursuivre le voyage d’une autre façon. Au fond, je verrais le couple opposé, dans son essence subtile, comme étant plus un couple complémentaire au contraire, un couple même où chacun sert de tremplin à l’autre vers l’amour profond., l’amour du coeur que j’opposerais à l’amour émotionnel. Je me suis rendu compte que c’est à travers le désir et l’assouvissement du désir qu’on arrive au non désir, que c’est à travers une prise de conscience, une exploration de sa propre individualité qu’on arrive au non ego, à la non individualité, et que c’est à travers un engagement profond à la vie et aux gens qui nous entourent qu’on arrive au détachement, au non engagement.

 

CB : L’unité entre les valeurs féminines et masculines est-elle complémentaire à l’unité entre le corps et l’esprit ?

GC : Oui, c’est complémentaire, mais il est assez difficile de définir le féminin et le masculin. Si on se rapporte à des valeurs sociales, sociologiques, des valeurs de la culture ambiante, il y a bien sûr de grandes différences entre le masculin et le féminin. On est marqué par ça. Si les hommes allaient vers leur sensualité, vers leur sensibilité, cela les rapprocherait de la vie, de l’attention à la vie, de l’accueil profond de la vie. Pour les femmes, se rapprocher du masculin c’est retrouver le sens de la détermination, de l’action, le sens du but, de la direction, d’une énergie active. Je pense que les hommes qui sont toujours en action peuvent se mettre en phase de réceptivité profonde. C’est une chose absolument essentielle. C’est la voie créatrice. Il ne peut pas y avoir de création sans réception profonde de l’influence universelle. C’est la même chose pour les femmes mais elles ont peut-être plus de difficultés à s’arracher au monde de la réceptivité pour aller vers le monde de l’action, de la confirmation d’elles-mêmes, sans avoir l’impression d’être en rupture avec le monde de l’intuition et de la sensibilité profondes. Les définitions que nous avons du masculin et du féminin sont insuffisantes.

Cela varie beaucoup d’un être à l’autre. Il y a des hommes qui sont très réceptifs, très entiers, très inspirés et qui connaissent pourtant des problèmes. Et il y a également des femmes d’action qui ont de la difficulté à s’arrêter et à se laisser inspirer. Il y a beaucoup de cas de figures mais on pourrait dire que le féminin semble avoir été posé comme ” l’essence intérieure ” et le masculin comme une sorte ” d’énergie productrice “

 

CB : Pour arriver à une unité avec soi, doit-on équilibrer les valeurs masculines et féminines en soi ? Cela fait-il partie de l’évolution ?

GC : Je ne sais pas si cela fait partie de l’évolution souhaitable qu’il y ait des valeurs masculines ou féminines. Je pense que de toute façon quand quelqu’un est très ancré dans des valeurs masculines, la vie va le défaire, le mettre en échec et l’obliger à trouver d’autres modes de fonctionnement. Il pourra subir beaucoup d’injustices, s’obliger à un retrait sur lui-même, à davantage d’introspection. Est-ce cela que l’on peut appeler la féminité chez un homme ? Je n’en suis pas complètement certain mais il va quand même se passer quelque chose de cet ordre-là.

C’est la même chose pour une femme. Si une femme demeure complètement dans le monde de la rêverie, elle peut connaître toutes sortes de difficultés matérielles ou relationnelles qui l’obligeront à trouver sa souveraineté totale. Je pense que le monde de l’unité, c’est le monde de la souveraineté intérieure, profonde et que la compréhension de la vie – ce qu’on appelle la vie extérieure – est davantage un univers symbolique. Ces deux mondes-là, extérieur/intérieur, marchent en totale concordance. C’est ça, je pense, la magie de la vie.

L’être qui retrouve le sens de son entièreté, pas seulement psychologique ou physiologique, mais bien par sa similarité de nature avec l’univers qui l’entoure, a bien sûr retrouvé la source de son être et peut s’approcher de la béatitude. Mais ce qu’il est important de dire, c’est qu’on ne parvient pas à cette unité sans passer par le monde de la division. Et cette division n’est nulle part plus apparente et plus troublante que dans notre rapport homme-femme, dans la friction des deux oppositions supposées, la friction des deux sexes opposés. Je crois qu’il est fondamental et très créatif d’arriver à travers l’amour à se retrouver… pareil à celui ou celle qu’on avait posé comme ennemi, comme opposé à soi.

En fait, c’est la grande stratégie de la nature pour nous aider à évoluer !