Didier van Cauwelaert : entretien sur l’intuition

par Catherine Balance

(Revue Recto-Verseau – mars 2005)

“J’invente d’abord, je vérifie ensuite”

Dans Etre intuitif, je m’étais intéressée au lien très étroit existant, selon moi, entre intuition et créativité, en particulier dans l’improvisation, verbale ou musicale, et dans l’inspiration. Je partais de l’hypothèse que l’intuition donne l’impulsion, l’idée de départ, que le travail, le savoir-faire ou l’acquis peaufineront ensuite.

L’intuition : une ligne directe avec l’imaginaire?

Dans les romans de Didier van Cauwelaert, et même s’il ne s’agit plus ici d’improvisation – un auteur, on le sait, retravaille presque toujours ses phrases – j’ai cru percevoir des “moments” nés de… l’intuition du moment, justement, tant du point de vue de l’évolution des personnages ou de l’histoire que de la capacité à deviner des informations ou à anticiper des événements. En outre, l’imaginaire riche, original et ludique de cet auteur particulièrement prolifique semble alimenté par une source que j’associe à l’intuition. Pour moi, en effet, l’intuition est la voie royale qui mène à l’imaginaire, elle permet de dialoguer avec lui et de puiser la matière qui sera à l’origine d’une œuvre.

J’ai donc demandé à Didier van Cauwelaert quelle relation il entretient avec son intuition quand il écrit et si des synchronicités accompagnent l’élaboration de ses romans. Car bien souvent, dès que l’on est en contact avec son intuition, les synchronicités ne tardent pas à se manifester.

CB – Comment vos personnages se présentent-ils à vous?

DvC – Lorsque je commence un roman, j’ai déjà l’idée de l’histoire et des personnages dans la tête. Ensuite, devant la page blanche, je me mets en état de réception. Je me laisse inspirer. Souvent j’invente des détails dans la profession d’un personnage et puis, lorsque je vérifie, je me rends compte que je ne me suis pas trompé.

Dans L’Evangile de Jimmy, par exemple, j’ai inventé le généticien, j’ai deviné des choses à son sujet et ensuite je me suis documenté. Bien sûr ma mémoire a enregistré à mon insu des informations mais il y en a d’autres qui me viennent aussi intuitivement. Il m’est arrivé plusieurs fois de décrire des lieux comme ils sont en réalité alors que je ne les connaissais pas.

Il se fait un travail de cuisine dans l’inconscient entre ce que l’on sait et ce que l’on sent.

Le choix du nom du personnage est très important, la vibration du nom. Si la vibration ne va pas, je change de nom. La première phrase aussi. Je peux passer énormément de temps sur la première phrase, je ne commence jamais un livre sans elle. Dans cette phrase est contenu déjà tout le roman.

CB – Comment les histoires se vivent-elles ou s’orientent-elles au fur et à mesure de leur narration?

DvC – Lorsque le personnage a acquis un degré d’existence suffisant à travers ce que je sais de lui, il devient autonome. Il “dit” ou plutôt je l’entends me dire: “je ne peux pas dire ou faire ça”, et même si je préfère que mon histoire prenne une autre direction, je suis la suggestion du personnage.

C’est le cas d’Antoine lorsqu’il redevient Antoine dans Les Vacances du fantôme. J’ai été dérangé par sa réintégration dans son corps. J’ai découvert, j’ai vu, pendant l’écriture, que le jeu de ce personnage se modifiait. La mort de Richard Glen dans Corps étranger n’était pas prévue non plus au départ. Le personnage m’a imposé ce choix.

CB – Et vous en pensez quoi de cette vie des personnages en dehors de vous?

DvC – Certains spirites disent que les personnages préexistent et viennent inspirer leurs auteurs pour qu’ils les racontent, les fassent vivre sur le papier. Moi je ne sais pas si c’est seulement mon imaginaire ou s’il s’agit d’autre chose.

CB – Avez-vous vécu des synchronicités en rapport avec ce que vous étiez en train d’écrire?

DvC – Dès que je suis dans un sujet, c’est comme s’il se produisait une sorte d’aimantation sans que je sois en demande. Je rencontre tout de suite les personnes qui vont m’aider à avancer, à me documenter…

Pendant ou après l’écriture d’un livre, il peut y avoir effectivement des résonances, des réponses ou des synchronicités. J’ai rencontré Béatrice, le personnage féminin de Poisson d’amour, juste après avoir terminé le manuscrit. Le roman n’était donc pas encore publié. Elle ressemblait en tous points à mon personnage: elle avait le même caractère et un problème de père également. En plus, elle s’appelait aussi Béatrice et je l’ai rencontrée à Montmartre!

Deux des plus étonnantes synchronicités que j’ai vécues, je les appelle même des caricatures de synchronicités tellement les réponses ont été immédiates et claires, se sont produites avec La Demi-pensionnaire.

Je m’étais inspiré, pour le personnage d’Hélène (pilote paraplégique), d’une fille que j’avais connue au lycée, mais j’avais inventé son rapport avec l’avion. A un moment, j’ai voulu savoir s’il existait des avions équipés pour les handicapés. J’avais à peine eu le temps de me poser la question que je reçus un livre d’une ancienne championne de voltige. Elle y parlait d’un ami russe, devenu paraplégique après un accident, et dont l’entourage avait fait équiper l’avion d’un dispositif adapté lui permettant de le piloter.

La deuxième synchronicité s’est produite le soir même où j’ai terminé l’écriture du livre. Il y avait au programme du magazine TV Des Racines et des ailes, deux reportages, le premier sur les pilotes handicapés et le deuxième sur les guides de montagne (métier du personnage masculin de ce roman). C’était un joli clin d’œil, comme une confirmation! et vraiment très bien que ces informations n’arrivent qu’à la fin du livre, qu’elles ne m’aient pas influencé.

Pour moi, les synchronicités sont des signes… légers.

Dans L’Education d’une fée, le personnage masculin raconte qu’il aime s’occuper des arbustes tombés dans la forêt, il les relève et les soutient avec des tuteurs, ce qui leur permet de reprendre de la vigueur. C’est une chose que je fais moi-même régulièrement. De plus, il se rend compte petit à petit que d’autres arbustes que ceux qu’il a soignés ont aussi été redressés et maintenus par des tuteurs, comme s’il avait fait école. Or, j’ai écrit ce passage très peu de temps avant la tempête de 99 pendant laquelle tous les arbres autour de ma maison sont tombés. On sait qu’ensuite plusieurs personnes en France se sont mises à relever des arbres.

CB – On retrouve régulièrement dans votre œuvre la notion de pensée créatrice mais elle est particulièrement mise en évidence dans L’Evangile de Jimmy, votre dernier roman. Dès qu’on annonce à Jimmy qu’il est un clone du Christ, il se met à faire des miracles…

DvC – Oui, car ce qui a été projeté sur lui crée un effet. Avec l’épisode de l’érable (un arbre mort que l’on va abattre et sur lequel des bourgeons apparaissent tout de suite après l’intervention de Jimmy), Jimmy va réorganiser ce qui était désorganisé. On peut tout modifier par la pensée créatrice, les événements, notre santé… Même les scientifiques reconnaissent aujourd’hui l’effet de la pensée sur le corps.

L’Evangile de Jimmy, éd. Albin Michel

Attiré par l’étrange, la recherche scientifique de pointe, mais aussi l’humain avec ses questionnements et sa capacité “créatrice” à se transformer et à faire évoluer les choses, Didier van Cauwelaert réussit avec son dernier livre, L’Evangile de Jimmy, à réunir l’ensemble de ses thèmes de prédilection dans un roman étonnant de trouvailles, de réflexions théologiques, politiques, humaines et humanistes, aux frontières du possible, de l’envisageable. Rien n’échappe au scanner de son intelligence aiguisée, rien n’est laissé de côté dans le tableau plus que vraisemblable et visionnaire qu’il brosse de notre monde tout proche à venir…

L’action se situe en 2026 et Jimmy Wood, réparateur de piscines, apprend qu’il est un clone du Christ. Une fois le premier moment de stupéfaction passé, il va entraîner le lecteur dans une réflexion existentielle profonde, une aventure aux multiples interrogations allant bien au-delà de l’aspect polar/science-fiction que ce début de roman peut le laisser supposer.

Une belle histoire de suspense… et de quête!

Didier van Cauwelaert a écrit son premier roman à l’âge de 8 ans. Ecrivain attachant, à l’imagination débordante, aux thèmes tout aussi surprenants que drôles, tendres ou bouleversants, il a à son actif une quinzaine de romans dont l’irrésistible et poétique Un aller simple pour lequel il reçoit le prix Goncourt en 1994 et qui sera porté à l’écran. Il écrit également pour le théâtre et le cinéma et a collaboré à plusieurs bandes dessinées.