Entretien avec Jean-Marie Pelt

Réflexions sur l’humanité et la spiritualité

JMP: « De la vision Darwinienne à la vision humaniste et spiritualiste, on passe de « mangez-vous les uns les autres » (la prédation) à « aidez-vous les uns les autres » (la solidarité), enfin à « aimez-vous les uns les autres » (la compassion). L’humanité, s’arrachant à la barbarie des origines, irait donc vers l’altruisme. »

Le mouvement New Age des années 70 représentait une minorité un peu rêveuse, installée sur une utopie que l’ensemble de la société ne suivait pas. Ce qui est nouveau aujourd’hui c’est la prise de conscience très large des questions écologiques. Il y a une crise économique, en même temps, et je pense que nous ne repartirons pas tout à fait comme avant. Beaucoup de signes montrent que les consommateurs ont changé dans leurs désirs. Ils sont plus sobres, ils veulent faire leurs courses dans des petites surfaces et retrouver des relations humaines de qualité. Ils souhaitent participer à la construction d’une société un peu différente, une société plus vraie, plus conviviale et solidaire, et laisser le monde en meilleur état à leurs enfants. C’est un mouvement de fond. Ce n’est pas un épisode conjoncturel qui serait lié à une crise momentanée. La crise est simplement l’expression visible de ce qui se passe sous l’iceberg et de ce point de vue je suis confiant dans l’importance du changement qui est en cours. Et si ce changement de culture s’approfondit, s’accélère et se renforce, il peut aussi amener à un changement de civilisation.

CB : Un changement de civilisation ? Vous le verriez comment ?
JMP: Je pense qu’il y a plusieurs pistes pour le futur, celle du désarmement qui est extrêmement importante. C’est aussi la prise de conscience que nous appartenons, de par l’écologie elle-même, à la communauté humaine mondiale. Je pense qu’il faudra réduire le poids des nationalismes et des super puissances, qui n’ont eu tendance jusqu’à présent qu’à se taper dessus, et renforcer celui de la communauté humaine toute entière pour arriver tôt ou tard à une gouvernance mondiale de la planète. La vraie force réside dans la solidarité.

CB: Quel regard portez-vous sur cette évolution ?
JMP: Je la vois comme la suite d’un processus d’humanisation. Dans Nature et spiritualité, j’ai essayé de montrer comment les grandes spiritualités d’Occident et d’Orient, les monothéismes et les religions orientales convergeaient vers une idée des relations entre l’homme et la nature différentes de ce que nous avons mis en œuvre depuis la révolution industrielle. Nous avons fait de la nature une sorte de matériau à exploiter, nous sommes devenus des prédateurs et des exploiteurs (bien plus que des exploitants). Il faudra un regain de spiritualité. Moi ce dont je rêve, mais c’est complètement utopique dans le contexte actuel, c’est que les grandes spiritualités arrivent un jour à se mettre d’accord sur un texte et une vision qui seraient une sorte de minimum commun sur des valeurs essentielles adossées à l’esprit de la déclaration des droits de l’homme. Il s’agirait de l’apport positif de ce que toutes les grandes traditions spirituelles du monde ont en commun, sans qu’elles perdent de leur autonomie. Ce mouvement de rencontre pourrait s’intensifier et la dimension spirituelle de l’homme s’affirmer à travers des valeurs qui nous relieraient tous ensemble. Moi je verrais bien cette charte s’appeler « aimez-vous les uns les autres ». Ce ne sera pas possible bien sûr parce que c’est une phrase propre au Christianisme mais elle devrait évoquer quelque chose du même ordre. Nous sommes dans une perspective de conflits perpétuels entre les puissances, les traditions, entre les cultures, les religions. Tout le monde s’affronte tout le temps et on ne voit émerger que ces affrontements perpétuels. On ne voit pas émerger des convergences alors que toutes les religions ont des points de convergence sur l’essentiel. Travailler à faire émerger ces convergences est à mes yeux très important. Ce serait une tâche formidable pour l’ONU.

CB: Cette spiritualité pourrait même être embrassée par une population laïque ?
JMP: Oui, parce que cela nous rapprocherait. La spiritualité c’est aussi quand la vie arrive à la conscience et qu’on se pose toutes sortes de questions sur le sens de la vie et sur les valeurs.

CB: Cela peut-il passer par la prise de conscience environnementale ?
JMP: Le fait que nous avons la planète comme bien commun à préserver pour un autre bien commun que sont tous les humains qui y vivent et y vivront nous donne à tous une même base.

L’horizon ultime de l’humanité c’est évidemment une élévation morale, éthique, spirituelle, culturelle, axée sur un niveau d’humanisme très en avance sur ce que nous sommes actuellement.

Propos recueillis par Catherine Balance
Entretien paru en 2009 dans la revue suisse Recto-Verseau